Tuesday, 2 December 2025

Si Montesquieu analysait la France actuelle

 L'analyse de Montesquieu (France, 1689-1755) sur la France d'aujourd'hui serait avant tout une analyse de la nature du gouvernement et de l'état de la liberté politique, à travers le prisme de sa doctrine cardinale : la Séparation des Pouvoirs et le Principe des Gouvernements.

Il porterait un regard critique, probablement teinté d'inquiétude, sur plusieurs aspects de la Vème République.


1. La Critique de l'Hyper-Présidentialisation

Montesquieu serait le plus alarmé par la concentration du pouvoir au sommet de l'Exécutif, phénomène souvent désigné comme l'hyper-présidentialisation.

  • Fusion des Pouvoirs : Pour Montesquieu, la liberté politique n'existe que si le pouvoir arrête le pouvoir. Il verrait dans la puissance du Président et du gouvernement (l'Exécutif) sur l'Assemblée Nationale (le Législatif) une rupture de l'équilibre. L'usage fréquent et parfois controversé de mécanismes comme l'Article 49.3 de la Constitution serait perçu comme une grave menace.

  • Tendance Monarchique : Il pourrait juger que, par sa prééminence et son rôle déterminant, le Président de la République moderne exerce une forme de pouvoir quasi-monarchique au sein d'un système républicain. Cette fusion des fonctions législatives et exécutives est, dans L'Esprit des lois, la définition même de ce qui conduit à la tyrannie.


2. L'Érosion du Principe de la République

Montesquieu classait les gouvernements selon leur Nature (qui gouverne) et leur Principe (ce qui fait agir le gouvernement).

Nature du GouvernementPrincipe
RépubliqueLa Vertu (l'amour des lois, l'esprit civique, la dévotion au bien public)
DespotismeLa Crainte (la peur des sujets)
  • Le Déclin de la Vertu Civique : Montesquieu s'interrogerait sur la persistance de la Vertu en tant que principe moteur de la République française. La montée des fortes polarisations, l'émiettement du corps politique en factions irréconciliables, et le niveau élevé de défiance envers les institutions indiqueraient que la Vertu (le sens du bien commun) est en déclin.

  • La Montée des Passions Privées : L'accent mis sur les intérêts particuliers (qu'ils soient identitaires, corporatistes ou économiques) au détriment de l'intérêt général pourrait signaler un glissement vers une forme de dégénérescence politique.


3. L'Instabilité et le Défaut de Modération

Montesquieu valorisait la modération comme condition de la liberté et de la stabilité.

  • Loi et Sécurité : La liberté politique, selon lui, réside dans la sûreté du citoyen, c'est-à-dire le fait que chaque citoyen se sente protégé par les lois. Les crises sociales récurrentes, les manifestations violentes et la perception d'une justice lente pourraient suggérer que cette "sûreté" est compromise pour une partie de la population.

  • Le Danger des Extrêmes : L'essor des mouvements politiques radicaux (à l'extrême droite et à l'extrême gauche) et la difficulté du centre à gouverner par consensus seraient interprétés comme un manque de modération. Montesquieu y verrait la preuve que les institutions n'arrivent plus à canaliser et à tempérer les passions du peuple, augmentant le risque d'une guerre civile larvée.

En conclusion, Montesquieu ne verrait pas la France comme un despotisme achevé, mais il avertirait que la République est en péril car elle a permis à l'Exécutif de dominer, érodant ainsi la liberté politique et dégradant le principe de la Vertu qui lui est essentiel. Son verdict serait un appel urgent au retour à l'équilibre des pouvoirs et à la modération civique.